revue de presse

FID Marseille - Céline GUENOT























LEONE, MERE & FILS
de Lucile Chaufour

Qui sont Léone et Patrick, les personnages de votre film ?
Léone est une femme truculente, à la fois attirante et effrayante, que j'ai beaucoup aimé filmer : ses cheveux platine, bouclés et laqués, ses formes plantureuses, sa gouaille et son sans-gêne, en font un personnage hors du commun. Mais, c'est dans la relation à son fils, Patrick, que j'ai trouvé le réel sujet du film : on peut se sentir débordé, gêné par une relation aussi forte. On peut, tour à tour, éprouver de la fascination et du rejet pour ces jeux ambigus et puis on s'aperçoit que Patrick est le meneur de jeu, qu'il semble vivre un moment de bonheur absolu dans les bras de sa mère, la tête fourrée dans sa poitrine généreuse. C'est aussi cela qui est à la fois dérangeant et édifiant : comprendre qu'une situation qui a pu être abusive est devenue désirable.
Une partie des images a été tournée alors que Patrick était encore un enfant, l'autre alors qu'il avait 20 ans. Au montage, elles sont juxtaposées sans rupture particulière, si bien que la première partie du film résonne fortement dans la seconde. Pourquoi ce saut dans le temps ?
Retrouver Léone dix ans plus tard, alors que Patrick a vingt ans, m'a permis d'interroger de façon plus directe leur relation. L'attachement manifeste qui les lie, la dépendance que Léone organise, dont se plaint Patrick mais vers laquelle il revient, l'anxiété et la tristesse qui ont succédé au bonheur primordial des temps de l'enfance, témoignent du mélange inextricable d'aliénation et d'amour, de violence sous-jacente et de désir contraint de la relation. Ici, l'éros s'exprime exclusivement dans la relation maternelle et la volonté de contrôle bride tous les échanges. Passer d'une periode à l'autre en les retrouvant quasiment dans le même lieu – la chambre de Léone – et au même point – Patrick veut toucher Léone qui le repousse – est à la fois un choc et une évidence. Je ne voulais pas plus d'explication que cela pour amorcer la dernière partie du film.
Une histoire universelle ?
Au-delà de l’histoire particulière de Léone et Patrick, ce film est pour moi une réflexion sur le fantasme, sur l'image de la mère absolue, dévorante et magnifique, une évocation de l'archétype de la mère en déesse aimante et maîtresse terrible. Par son excès et sa cruauté, l'histoire de Léone et Patrick prend finalement une dimension de conte : Léone, puissante, généreuse, inquiète, désabusée, touchante, est à la fois, la bonne fée nourricière de Patrick, et la méchante sorcière, jalouse et castratrice. Patrick, de son côté, tire parti de l'amour insatiable et dévoué de Léone, tout en restant sidéré par cette femme auprès de laquelle nulle autre ne semble désirable. L'époux, lui, n'est envisagé que comme un géniteur. 

Pouvez-vous nous éclairer sur votre travail de montage, notamment la manière dont vous avez choisi les séquences qui ont été montées ?
Je voulais une forme très simple, presque une épure, une mise en regard de situations qui s’explicitent d’elles-mêmes. Bien sûr, j’ai passé beaucoup de temps dans la brasserie de Léone, avec ou sans caméra. Je l’ai filmé à différents moments de l’année, mais au montage, j’ai décidé de ne pas être exhaustive. J’ai choisi une journée particulière du tournage : Léone s’était faite belle, elle avait pris rendez-vous chez le coiffeur et sorti les talons aiguilles, elle était magnifiquement en représentation et attendait ce moment avec impatience. Je ne dirigeais rien, je suivais, j’étais toute occupée par la stabilité, le cadre, la netteté – ce qui est une gageure avec ce type de caméra amateur –. Cette concentration sur l’image-en-train-de-se-faire m’a protégé de l’inquiétude « qu’il ne se passe rien » et de son corollaire : l’intervention incessante pour combler ce vide d’action. Ainsi, ils étaient assis dans la chambre de Léone et je ne leur demandais rien, je les filmais. Ils ont commencé à occuper ce vide, cet ennui, la sirène d’une voiture de mariés a attiré leur attention, nous avons regardé les photos de mariage de Léone… et c’est ainsi que nous sommes arrivés au cœur de l’intime. Si le travail de montage sur l’activité du restaurant est très découpé, organisé en axes et en mouvements pour une sensation de continuité qui va du « coup de feu » à la fin de service, le montage de la séquence de la chambre respecte le déroulement du tournage jusqu’à intégrer dans la narration des arrêts de caméra ou des reprises de point. Ici, j’ai choisi d’intervenir au minimum, ce qui demande en fait, beaucoup d’attention et de précision dans les coupes : dépositaire d’un moment d’intimité inouï, il était évident pour moi qu’il ne fallait rien dire « de plus », et bien sûr, ne pas instrumentaliser ou manipuler une échappée si particulière où Léone est à la fois dans le contrôle, comme à son habitude, et débordée par son fils qui l’oblige à faire « comment on fait, des fois ». J’ai choisi ensuite de montrer en miroir une seconde journée, à 10 ans d’intervalle, où l’on retrouve tous les protagonistes et quasiment les mêmes lieux. Au tournage, j’ai opté cette fois pour une attitude plus directive : je voulais comprendre en posant des questions. J’ai ensuite construis au montage des moments qui semblent concomitants où Léone, Patrick et Michel (le père), parlent d’eux-mêmes et de leur famille.
Propos recueillis par Céline Guénot
LE MONDE - Isabelle REGNIER

En 2009, la sortie de Violent Days révélait l’univers de Lucile Chaufour, cinéaste formée aux Arts déco et dans des écoles de musique qui défrichait un territoire bien à elle, insufflant une mythologie venue du rock, du film noir hollywoodien, du cinéma de Melville et de la Nouvelle Vague dans une base quasi documentaire, filmée à ras le bitume périurbain. Dans un noir et blanc ultra-stylisé, cette échappée dans la banlieue française, peuplée de marlous semblant surgis de la fin des années 1950, de belles bagnoles et de blondes peroxydées, affirmait une voix singulière, altière et mélancolique, vibrant d’un amour pour les classes populaires.

Depuis, l’auteure n’avait plus donné de nouvelles qu’en festivals, où ont tourné ses courts-métrages et autres œuvres hybrides, entre le cinéma et l’installation artistique. Son deuxième long-métrage, East Punk Memories, réalisé en 2012, n’a pas trouvé, pour l’heure, le chemin des salles – il pourrait sortir en 2016 – et le troisième, Gas Gas, une histoire inspirée du monde des collectionneurs de motos, est en préparation. Aussi, l’initiative prise par Côté Court (festival de courts-métrages qui se tient à Pantin, en Seine-Saint-Denis, du 10 au 20 juin) de réunir dans un programme commun deux de ses films, L’Amertume du chocolat (2008) et Léone, mère et fils (2008), est-elle bienvenue. Elle révèle la cohérence de son travail, cette manière personnelle qu’elle a, avec un sens plastique et une puissance d’incarnation saisissants, de creuser des zones troubles à cheval entre le réel et le fantasme.

Tragédie homérique et universelle

Incarnés par deux archétypes de mères, la femme fatale dépressive de L’Amertume du chocolat et la diva des faubourgs de Léone, mère et fils, ces courts-métrages ont beau avoir été conçus de manière autonome, ils apparaissent comme les deux volets d’un diptyque, cruel, autour du mythe de la maternité monstrueuse.

Tournés dans un beau format carré, en noir et blanc, dosant à des degrés divers la fiction et le documentaire, les références au cinéma hollywoodien classique et au néoréalisme le plus âpre, ils explorent jusqu’au vertige le jeu des apparences en jouant sur les déplacements de cadre, les sautes de temporalité – en travaillant le hors-champ en profondeur.

Dans L’Amertume du chocolat, la détresse psychique de la mère est mise en regard de l’architecture froide, de l’urbanisme désolé, de la cité HLM où elle vit avec ses deux enfants. Pendant les treize minutes que dure le film, cette femme aux allures d’icône des années 1950, qui évoque, par le décalage qu’elle oppose à son temps, certaines séries de photos de Cindy Sherman, livre un combat de titan pour rester à la hauteur de cette image idéale qu’elle s’est forgée, tandis que les assauts répétés du réel viennent crisser sur la surface meurtrie d’une dépression qui finira par tout submerger – son esprit, son image, son appartement.

Constitué de deux blocs documentaires filmés à dix ans d’intervalle dans l’antre d’une tenancière de café à la forte personnalité, sorte de Marcelle Groseille (la mère prolétaire de La vie est un long fleuve tranquille) qui se vivrait en Marilyn Monroe de banlieue, Léone, mère et fils tend plus ouvertement encore vers le mythe. Dans cette béance que l’imagination est invitée à combler, où Léone, la mère, a vieilli et où son fils est passé de l’enfance à l’âge adulte, une tragédie s’est jouée, homérique et universelle, dont le film fait sentir l’extraordinaire violence sans pour autant décider lequel des deux personnages est le bourreau, et lequel la victime.


http://abonnes.lemonde.fr/cinema/article/2015/06/09/lucile-chaufour-exploratrice-de-zones-troubles_4650063_3476.html 



Mathieu MACHERET
Le cinéma de Lucile Chaufour est un cinéma de l'interférence, où l'image comme le son semblent recueillir, comme dans un entre-deux, les vibrations intriquées de temporalités et d'espaces distants, mais dont le brouillage produit une entêtante poésie ondulatoire. Son lieu de prédilection, la banlieue parisienne, est passé au crible d'un noir & blanc intemporel - moins un filtre qu'une glaise - et traversé par les mythologies latentes, celles de Amérique des années 1950, dont les fétiches éclosent de ci de là sur son socle de béton. À leurs façons, les héroïnes de Leone, mère & fils et L'Amertume du chocolat sont des Marilyn Monroe ou des Ava Gardner en puissance, mais qui n'auraient jamais transité par l'immatérialité hollywoodienne et que le contact abrasif avec le quotidien auraient transformées en mères. La matrone du premier, tenancière d'un bar-restaurant à Nogent-sur-Marne, arbore la crinière peroxydée et la gouaille d'une star d'antan, à la poitrine opulente de laquelle s'accroche un fils, dans un rapport « animal » bouleversant, fait de pichenettes et de reconnaissance commune par la chair. La seconde, mère à la dérive de deux angelots en jachère, sort tout droit d'un film noir, avec son foulard sombre et son air inquiet, tandis que la réalité semble craqueler et amonceler autour d'elle ses déchets refoulés. Toutes dieux se tiennent à mi-chemin du rêve et de l'asphalte, dans un repli du temps qui n'aurait rien à voir, loin s'en faut, avec l'obsession sociologique du cinéma français.


"Leone, Mere et Fils": un'amore viscerale

FdP 55 - "Leone, Mere et Fils": un'amore viscerale
Léone e Patrick sono madre e figlio. Lei è una donna esuberante, giunonica, che sembra uscita da un film di Fellini, anima e corpo di di vecchio bistrot della periferia parigina. Lui è un bambino vitale, legato alla madre da un amore viscerale, quasi indissolubile. Questa bellissima e piccola storia è raccontata nel documentario "Leone, Mere et Fils" (2014, 41’) di Lucile Chaufour, presentato in concorso alla cinquantacinquesima edizione del Festival dei Popoli.

Girato tutto in bianco e nero, il film raccoglie uno spazio temporale lungo dieci anni. Inizialmente Patrick è un bambino: viene ripreso con la madre nel bar e nella loro camera, dove è ambientato un lungo pianosequenza dove giocano spensierati a "fare gli innamorati". Danzano, scherzano, sono "complici", quasi non esistese un mondo lontano da quel luogo, che li legherà anche per gli anni a seguire. Da lì, la narrazione ci catapulta avanti, quando Patrick ha vent'anni. Il ragazzo sembra un "uccello in gabbia", il suo amore verso la madre è talmente grande e forte da non fargli "spiccare il volo". Non ha interesse per le ragazze, non ha voglia della propria autonomia. La sua vita è lì, accanto a questa donna "ingombrante" e docile, una madre "assoluta", giunonica "dea" dell'amore, ma anche padrona del destino del figlio.

"Leone, Mere et Fils" è un documentario che tocca nell'animo, con i giusti ritmi, senza sbavature, senza eccessi narrativi. Non c'è la ricerca della spettacolarità, non c'è quell'esuberanza stilistica che ritroviamo in molti autori nostrani, c'è soprattutto la storia e ci sono i protagonisti, inquadrati nella loro bellezza e semplicità...


Simone Pinchiorri


Léone parece salida de una imaginación compartida entre Fellini y Robert Crumb: segura, enorme, con una rubia cabellera y una vitalidad que hace que uno no pueda más que rendirse ante ella. Eso es lo que hace su hijo, cuando la observa todos los días con ojos de Edipo mientras atiende las mesas de un pequeño restaurante en las afueras de París. La relación entre ellos es única, llena de amor recíproco, inequívoca, de esas que se dan de tanto en tanto en la vida. Todas esas certezas se oponen a las imprecisiones temporales con las que juega la directora Lucile Chaufour: imágenes en blanco y negro, una textura de video familiar y un arriesgado giro en la historia hacen que el paso del tiempo adquiera una importancia fundamental en el desarrollo de ese vínculo y de sus protagonistas. Una relación difícil de ubicar con fechas, pero tan intensa que se sobrepone a eso y se convierte en una historia universal. Y, al mismo tiempo, en una de las revelaciones de este año.  
BAFICI, Leandro Listorti


The film draws from the fountains of the great modern cinema through a conscious and mild bet, at the same time, of lights and shadows.
The relationship between a mother and a child includes within it the past and the present of a family, creating a portrait that touches all of us and reflecting the moments of the provocative  beauty typical of first loves.
special mention of the International Jury 
for the most Innovative film of the competition of the Sole Luna Festival 2015